1er décembre 2015
CAMBODGE : DECAPITATION DE L’OPPOSITION
ET RETOUR A UN REGIME DE PARTI UNIQUE
Le 16 novembre 2015, j’ai été chassé de l’Assemblée Nationale du Cambodge, en ma qualité de chef de l’opposition parlementaire, par des collègues députés du parti ex-communiste au pouvoir. Tout député ou sénateur élu et tenant son mandat du peuple souverain appréciera le côté burlesque de cette expulsion. Une telle mesure est d’autant plus lourde de conséquences qu’elle ramène pratiquement le Cambodge à un régime de parti unique, comme au temps de la guerre froide, c’est-à-dire avant la signature des Accords de Paris de 1991.
Pour justifier une telle mesure anti-démocratique, les autorités cambodgiennes utilisent une machine judiciaire bien rodée à des fins politiques.
Trois jours avant mon expulsion de l’Assemblée, un mandat d’arrêt a été émis contre moi, en dépit de mon immunité parlementaire. Il est basé sur une affaire de diffamation vieille de sept ans — en 2008 j’avais accusé l’actuel Ministre des Affaires Etrangères Hor Namhong d’avoir été un collaborateur des Khmer Rouges — pour laquelle j’ai été condamné en 2013 à deux ans de prison. Mais, au gré des élections et des fluctuations du climat politique, cette sentence n’a jamais été appliquée et est tombée dans l’oubli en même temps qu’elle est tombée caduque d’un point de vue légal et judiciaire.
I- L’affaire de diffamation en question avait été également portée devant la justice française mettant face à face les mêmes parties cambodgiennes (Hor Namhong et moi). La Cour de Cassation à Paris a jugé en avril 2011 que je n’étais passible d’aucune condamnation. Par conséquent, ma condamnation — pour la même affaire — par un tribunal cambodgien en mars 2013 n’a aucune validité en vertu du principe universel “Non bis in idem” qui est reconnu également dans le code pénal et le code de procédure pénale cambodgiens.
II- Pour pouvoir m’arrêter en novembre 2015 malgré mon statut de député bénéficiant de l’immunité parlementaire, les autorités cambodgiennes s’acharnent à démontrer que je ne suis pas député malgré le siège parlementaire que j’ai remporté aux élections législatives du 28 juillet 2013. Plus précisément, elles veulent établir — en dépit de la loi et du bon sens — que c’est ma condamnation de 2011 qui m’empêche rétroactivement d’avoir été élu député depuis 2013. Elles avancent que le condamné que je serais à leurs yeux, n’a pas le droit d’être inscrit sur une liste électorale et d’être élu à quelque titre que ce soit. En cela, elles contredisent les actes et faits suivants :
1) Une grâce royale m’a été accordée deux semaines avant les élections de juillet 2013 dont l’esprit et le but étaient de me réhabiliter complètement afin de me permettre de participer pleinement à ces élections en rétablissant tous mes droits civiques et politiques.
2) J’ai pu me réinscrire sur la liste électorale d’une manière publique en octobre 2013 sans aucune objection ni du Tribunal ni de la Commission électorale (NEC) qui aurait pu évoquer mon statut de “condamné” pour contester la validité de ma réinscription.
3) J’ai été proclamé “Député élu de la province de Kampong Cham” dans une séance plénière de l’Assemblée Nationale le 28 juillet 2014. Ni le Président de cette Assemblée, ni le Premier Ministre, ni aucun autre député présent — y compris le Ministre des Affaires Etrangères Hor Namhong qui m’avait attaqué devant le tribunal cambodgien en 2008 et qui venait aussi d’être réélu parlementaire –, ni aucun représentant du Tribunal ou de la Commission électorale n’avait saisi cette occasion pour émettre quelque objection que ce soit à cette proclamation.
4) Le 5 août 2014 j’ai prêté serment au Palais Royal avant de prendre mes fonctions de représentant élu du peuple, en présence de Sa Majesté le Roi, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée Nationale, du Président de la Cour Constitutionnelle, du Président de la Cour Suprême et du Président de la Commission électorale. Tous ces plus hauts personnages de l’Etat représentant toutes les autorités compétentes du pays ont reconnu et avalisé, par leur présence à cette cérémonie solennelle de prestation de serment, mon statut de député.
Il faut croire que mes prises de position et mes actions en faveur de la défense des droits de l’homme et de la bonne gouvernance au Cambodge gênent au plus haut point les autorités en place pour que celles-ci recourent aussi souvent à cette pratique de l’enlèvement arbitraire de son mandat parlementaire à un député: c’est la quatrième fois, en vingt ans, que je fais l’objet d’une telle mesure d’expulsion de l’Assemblée Nationale en ma qualité de chef de l’opposition parlementaire, en violation de toutes les lois du Royaume, y compris la Constitution.
Sam Rainsy
Chef de l’opposition parlementaire au Cambodge